La vérité sur Marie

Jean-Philippe Toussaint

Les Éditions de Minuit

  • Conseillé par
    20 janvier 2015

    Je continue la série romanesque de JP Toussaint, Marie Madeleine Marguerite de Montalte. J'ai déjà lu et apprécié -voire plus- les tomes un et deux, respectivement Faire l'amour et Fuir. Trois grandes scènes dans ce pénultième tome : celle de l'attaque cardiaque de Jean-Christophe de G, celle de la tentative d'embarquement du cheval dans la soute d'un Boeing et celle de l'incendie à l'île d'Elbe. Cette île qui à nouveau est le dernier lieu du roman (comme Fuir), cette île -ou plutôt le trajet jusqu'à elle- qui est le moyen pour le narrateur de reconstruire l'histoire, de nous raconter des faits qu'il a vécus et d'autres qu'il imagine, comme par exemple l'attaque de JC de G -c'est également vrai pour l'embarquement du cheval- qu'il n'a pas vue mais dont Marie a pu lui raconter des bribes, son imagination ou ses recherches faisant le reste.

    "J'aurais beau reconstruire cette nuit en images mentales qui auraient la précision du rêve, j'aurais beau l'ensevelir de mots qui auraient une puissance d'évocation diabolique, je savais que je n'attendrais jamais ce qui avait été pendant quelques instants la vie même, mais il m'apparut alors que je pourrais peut-être atteindre une vérité nouvelle, qui s'inspirerait de ce qui avait été la vie et la transcenderait, sans se soucier de vraisemblance ou de véracité, et ne viserait qu'à la quintessence du réel, sa moelle sensible, vivante et sensuelle, une vérité proche de l'invention, ou jumelle du mensonge, la vérité idéale." (p.165/166) Une belle réflexion sur la puissance évocatrice du roman, sur la vérité absolue : existe-telle ? Chacun n'a-t-il pas en lui sa propre vérité sur des faits dont il a été témoin ou acteur ? Son voisin, lui-même acteur ou témoin aura sa propre version, sa vérité. Dès lors quelle est la part de subjectivité dans tout rapport censé être objectif ? Ah ah, balèze comme question, n'est-il pas ?

    Je ne suis pas d'un naturel morbide mais les deux scènes les plus marquantes pour moi sont celles de l'attaque cardiaque et le feu à l'île d'Elbe. Comme je l'écrivais récemment, je n'ai rien contre les chevaux -"pourvu qu'ils ne soient pas dans mes lasagnes", c'est si bon de s'auto-citer... l'article en question est là-, mais la scène de l'embarquement du cheval décrite par JP Toussaint m'a semblé longue et même le plaisir de lire de belles phrases ne m'a pas suffi, j'en ai passé quelques unes avant de revenir à des choses plus attrayantes. Car comme toujours chez l'auteur, je retrouve le vrai plaisir des mots, de la belle langue, de belles et longues phrases, très ponctuées avec un vocabulaire assez courant, pas de mots inconnus qui nécessitent d'avoir un dictionnaire proche. Et plus j'avance dans cette série, moins je sais où les deux amoureux nous emmènent, où ils veulent aller, mais ce sont de beaux personnages que j'ai plaisir à suivre sur une longue période, un peu comme des amis qui vivent une relation difficile que l'on suit de loin, en pointillé, parce qu'on n'a pas toutes les données, chacun nous donnant sa version de leurs séparations/retrouvailles ; à nous ensuite de nous refaire le film de leurs vies, et on revient donc à l'interrogation de JP Toussaint sur la vérité et l'invention.

    Me reste Nue pour clore la série, j'attends la sortie poche.

    NB : rarement prises en défaut de fautes grossières, les éditions de Minuit ont laissé une belle coquille p.188 : "J'allai fermer les robinets des bombonnes de gaz dans le jardin...". Il me semblait bien que bonbonne était une exception quant à la lettre "m" devant "m, b, p"... Ceci dit pour faire mon intéressant.