Trencadis
EAN13
9782374911595
Éditeur
Quidam
Date de publication
Collection
Made in Europe
Langue
français
Langue d'origine
français
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Trencadis

Quidam

Made in Europe

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Caroline Deyns : Trencadis est un titre qui s’est imposé à peine le texte
commencé, alors que je me renseignais sur les techniques artistiques utilisées
par Niki de Saint Phalle. Lorsqu’on n’en connaît pas la signification, il peut
apparaitre mystérieux, voire hermétique. Pourtant, ce titre, on aurait du mal
à m’en faire démordre. J’y tiens plus que tout parce qu’il me semble contenir,
dans ses trois syllabes musicales, l’entièreté de mon projet. Trencadis est un
mot catalan. Selon son étymologie, il a d’abord désigné toute matière fragile,
aisément cassable. De cette matière, Niki de Saint Phalle semble faite. Sur
les nombreux clichés où elle figure, sa silhouette gracile et son visage
délicat, que creuse trop souvent la maladie, nous invite à le croire. S’y
devine également une vie intérieure que l’on sent instable, ébréchable à peu :
comme il y a des terrains constructibles, il y aurait des terrains
destructibles… Le terme de trencadis a évolué pour prendre ensuite la
signification d’éclat, de cassure. Ce qu’a fait, à plusieurs reprises, la vie
de Niki de Saint Phalle, son corps, sa personne même : voler en éclats. A onze
ans elle est violée par son propre père : un traumatisme oblitéré jusqu’à ce
qu’elle soit hospitalisée pour tentative de suicide, et avec lequel elle devra
composer le reste de son existence. Devenue mère, elle abandonne ses enfants,
s’arrache à la chair de sa chair comme on pratiquerait à vif une amputation
volontaire. Sa fragilité apparente aurait pu laisser penser qu’elle vivrait
ainsi dans la souffrance, en femme brisée, en femme éparse. C’est sans compter
avec la découverte de l’art, seul capable de reconstruire les êtres morcelés.
Ainsi, qu’elle travaille seule ou s’associe avec son compagnon Jean Tinguely,
toute son œuvre, reconnaissable par ses agglomérations d’objets ou de
matières, par ses patchworks graphiques ou ses mosaïques miroitantes, peut
être lue comme une volonté poignante de rassembler les bris : de se
reconstruire. Enfin, il faut parler de la manière dont le trencadis a
contaminé mon texte, en lui inspirant son éclatement et la récurrence
réfléchie de ses motifs. Parce que Niki de Saint Phalle est une plasticienne,
il m’a plu, pour la raconter, de jouer avec la plasticité de mon propre moyen
d’expression : l’écriture. La narration se veut ainsi discontinue, morcelée
entre passages romanesques, bribes de conversations, entretiens fictifs,
citations d’auteurs, extraits d’archives, rêveries autour des œuvres,
réflexions sur la condition féminine. Aussi, puisqu’un texte ne peut se
déclarer humblement texte, faudrait-il étiqueter celui-ci non pas « biographie
» mais « roman », genre dont la malléabilité et la perméabilité aux autres
formes depuis longtemps reconnues permettent de justifier toute littérature
composite. Pour autant, il convient d’ajouter que cette fragmentation n’est
pas aussi déstabilisante qu’on pourrait le croire. D’abord parce que la
chronologie et l’histoire respectées valent ici armatures. Et ensuite, parce
qu’il faut, selon moi, faire confiance au lecteur pour jouer un rôle actif. A
lui de jointoyer les tesselles, de cimenter les éclats pour recréer le
personnage : bref, de jouer tout court. Et quand le mot Trencadis finit par
désigner la technique artistique de l’architecte catalan, Gaudí, capable dans
ses mosaïques de créer un nouveau motif dans l’oubli de l’ancien, d’exprimer
une nouvelle ligne d’expression à partir du concassé. On retrouve Niki encore,
femme et artiste, désireuse de trouver du nouveau, expérimentant de nouvelles
compositions. Il est selon elle urgent et nécessaire de sans cesse « se
réinventer et se recréer ». Ecrire sur un personnage historique, quand vous,
vos rêveries, vous confine souvent à la catégorie des biographies romancées.
Pour l’avoir déjà expérimenté dans mon précédent texte (Perdu, le jour où nous
n’avons pas danséparu aux Editions Philippe Rey en 2015, sur Isadora Duncan),
je trouvais peu excitant de réitérer les mêmes procédés dans un nouveau projet
qui cherchait, lui aussi, à embrasser l’existence d’une femme puissante.
Originaire de Valenciennes, Caroline Deyns a eu la chance de travailler,
durant ses années d’étude lilloises, pour la librairie universitaire Meura.
Celle-ci, une dizaine d’années plus tard, prêtera son décor au calvaire de
Monsieur H., premier des personnages à apparaître dans Tour de plume, roman
choral publié aux éditions Philippe Rey en 2011. Après l’écriture, c’est au
corps dansant d’investir le texte : celui, intensément libre, d’Isadora Duncan
dont Perdu, le jour où nous n’avons pas dansé (éditions Philippe Rey, 2015)
cherche à retracer les vies multiples.
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