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20 avril 2010

Une frontière mince, infime et mouvante entre le héros et le traître

Scénario de Louis Malle et Patrick Modiano.

Seconde Guerre Mondiale. Lucien veut entrer dans la Résistance. Mais il n'a que 18 ans, et les maquisards le renvoient chez lui, refusant de s'encombrer d'un gamin. Alors, sans trop savoir comment ni pourquoi, il devient collabo et entre dans la police allemande. Rapidement aguerri, il effectue froidement les besognes les plus odieuses. Le hasard place sur son chemin France Horn, une jeune fille juive dont le père, un renommé couturier parisien, est retenu prisonnier par un autre policier français dévoué à la Gestapo. L'amour de Lucien et France est menacé. Avec la grand-mère de la jeune fille, les deux amants s'enfuient dans la campagne française pour vivre clandestinement leur passion, en attendant la fin de la guerre.

J'ai lu ce texte quand j'étais au collège, quand mon programme d'histoire m'a fait découvrir plus nettement l'histoire des résistants et des collaborationistes. Le professeur avait évoqué le livre. De retour chez moi, j'ai interrogé ma mère qui a miraculeusement sorti l'oeuvre des étagères surchargées de notre bibliothèque. J'ai commencé ma lecture après le dîner jusque tard dans la nuit, et je n'ai pas dormi. J'avais douze ans et depuis je me demande souvent quel camp j'aurais choisi. Il me semble que la frontière est mince, infime, mouvante, entre le héros et le traître.

L'entrée de Lucien dans la Gestapo semble tellement fortuite, si peu destinée à se produire, comme un dérapage sur une plaque de verglas qu'on n'aurait pas vue mais qu'on aurait préféré éviter, comme un accident de voiture qui envoie dans le mur. Ce jeune homme a tellement envie de s'investir, d'être dans l'un des camps, de participer à cette guerre sans la subir, qu'il prend ce qu'on lui donne, sans discernement. Une fois enrôlé, il la subit malgré lui, en accomplissant des horreurs dont il n'a pas conscience et pour lesquelles il n'éprouve aucun remords. Il n'y a que l'amour pour le dessiller.

Le titre m'a toujours interpellée. Pourquoi le patronyme avant le prénom? Comme si on procédait à un appel, à la lecture d'une liste au son de laquelle il faut lever la main pour répondre présent. Ou alors, ce garçon qui désire tellement être un homme, met en avant son patronyme, il affiche la marque qui le rend l'égal de ceux qu'il accompagne.

Le texte se lit vite, il est très visuel, très probablement en raison de sa nature. Je cherche maintenant le film réalisé par Louis Malle. Pas de crainte à avoir sur l'adaptation puisque le texte est un scénario. Avis aux cinéphiles qui passent par là: si vous pouviez me prêter ce film...

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19 avril 2010

La nature humaine: folie, démesure, déchéance, faiblesse

Nouvelles de Franz Kafka.

La colonie pénitentiaire - Un visiteur se voit présenter une machine de justice complexe. L'officier responsable du dispositif est fier comme un paon. Le visiteur ne sait pas pourquoi il est là, ni qu'il est condamné, ni quelle est sa peine. Le soldat présent sur place se contente d'obéir sans réfléchir. L'officier, quant à lui, croit en cette justice aveugle et cruelle. Pour prouver son amour et sa dévotion à la machine de justice, il se soumet lui-même à son action mortelle.

Premier chagrin - Un trapéziste décide de ne veut plus vivre ailleurs que dans les airs, sur son engin de voltige. Quand il fait part de son désespoir à son impresario, ce dernier accède à sa requête. Mais il s'inquiète: quel chagrin son artiste volant peut-il bien dissimuler sous les hauteurs du chapiteau?

Une petite femme - Le narrateur fait part de sa relation ambigue avec une petite femme qui ne peut souffrir sa vue. sans savoir ce qui motive cette aversion à son égard, le narrateur endure les humeurs de cette maîtresse irascible.

Un champion de jeûne - Un jeûneur desespère. Auparavant, son activité était admirée et lui-même très estimé. Aujourd'hui, plus personne ne s'intéresse à lui. Il peut enfin accomplir son rêve suprême: jeûner jusqu'au paroxysme de son art.

Joséphine la cantatrice - On remarque Joséphine pour sa voix légère et envoûtante. Elle possède un talent rare qui fascine. Mais dans le monde où elle évolue, il faut travailler et la chanson n'est pas un métier.

Le terrier - L'animal est obsédé par son terrier, c'est son oeuvre, son terrier. Aussi ne peut-il pas tolérer qu'un intrus vienne troubler sa quiétude.

La taupe géante - L'apparition d'une taupe aux proportions extraordinaires fait naître des intérêts divers au sein d'une communauté.

Je n'ai pas apprécié toutes les nouvelles avec la même intensité. Mais chacune d'elles touche un aspect de la nature humaine, dans sa folie, sa démesure, sa déchéance, sa faiblesse. A lire Kafka, on croirait que les humains sont avant tout des sujets d'expériences dont ils ne comprennent rien et dont ils subissent la complexe machinerie.

Je me rappelle ne pas avoir aimé Le Château, du même auteur. Mais je conseille sans aucun doute la lecture de ce recueil à tout le monde.

suivi de La Maison du chat-qui-pelote

J'ai Lu

2,00
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18 avril 2010

L'art aux portes de la folie

Nouvelle d'Honoré de Balzac.

Le jeune Nicolas Poussin est avide de découvrir et de maîtriser les techniques de peinture de maître Frenhofer. Introduit auprès du peintre par Porbus, il est empli d'admiration. Sa curiosité est éveillée par la mystérieuse toile que peint Frenhofer et qu'il refuse de livrer aux regards. Le maître ne parvient pas à terminer son chef d'oeuvre, La belle noiseuse, portrait de femme qu'il veut plus vrai que nature et dont il affirme qu'aucune femme de chair ne surpassera en beauté. Nicolas Poussin propose au maître de comparer sa toile avec sa maîtresse, la belle Gillette. Pour Frenhofer, le verdict est sans appel, sa vierge peinte est au-dessus de toutes les femmes du monde. Pour Poussin et Porbus, à la vue du chef d'oeuvre enfin dévoilé, il n'y a que stupéfaction et désarroi.

Frenhofer est un personnage faustien, vendu à la peinture pour une femme d'exception et trompé dans le marché insane qu'il a contracté. Génie aux portes de la folie, retranché des réalités et aveuglé par des années de recherche de la beauté, il ne reconnaît plus la grâce vivante. Le maître dont le jeune peintre voudrait tout apprendre est un artiste qui ne sait plus rien.

Balzac fait entrer par la petite porte des artistes peintres de renom. J'apprécie toujours la synesthésie d'un texte, quand les mots en disent plus en passant par les images ou les odeurs. Le texte est court, fulgurant comme un trait de peinture sur une toile blanche. A lire sans aucun doute!

colette

Flammarion

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18 avril 2010

De l'entrave à la liberté

Roman de Colette.

Renée Néré redoute l'amour. Elle a quitté Max pour y échapper. Elle s'éloigne de May et Jean pour détourner ses yeux d'une passion qui la gêne. Mais Jean la suit. Commence entre eux un amour qui les effraie et les éloigne l'un de l'autre, un amour lourd de silence à écouter. Pour garder Jean, pour préserver le sentiment, Renée doit apprendre l'humilité et la patience. Pour sauvegarder leur amour, elle doit s'oublier et se fondre en l'homme qu'elle aime.

Le combat de cette femme est bouleversant. Libre et forte d'une indépendance qu'elle revendique comme un droit gagné au combat de l'amour, elle dit rendre les armes face à plus fort qu'elle. L'amour est l'entrave ultime, celle qui la prive de son individualité. Mais quand celle-ci devient un poids, elle plonge avec délice dans l'amour libérateur et fédérateur. C'est en couple qu'elle se retrouve, qu'elle s'accomplit et qu'elle se découvre.

Mentir, tricher, fuir ou jouer, voilà les verbes que Renée s'emploie à combattre pour retenir son homme, celui qui lui échappe, emportant avec lui son propre dynamisme, sa vie, son essence. Le don d'elle-même, ultime, sacrificiel qu'elle offre à Jean est une renaissance. En s'oubliant totalement, en reniant son passé et ses habitudes, elle renaît et s'incarne en phénix de l'amour.

Le texte est court, c'est une gifle. A chaque lecture, je suis bouleversée et j'en redemande. A chaque lecture, je réapprends la valeur de l'amour.

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18 avril 2010

En équilibre instable entre deux mondes

Roman de Yasmine Char. Lecture commune avec Clara et Nina.

Elle a quinze ans. Elle vit au Liban. De son pays, elle ne connaît que la guerre, la ligne de démarcation. Fille d'un homme libanais et d'une Française qui les abandonnés, elle grandit seule, en équilibre fragile entre deux mondes. Il y a les traditions musulmanes de la famille du père. Et il y a les espoirs occidentaux du lycée français. En robe verte à volants, la jeune fille court sur la ligne de démarcation en priant Dieu qu'il l'épargne, qu'il la sauve de la violence.

La ligne de démarcation, "no man's land, frontière des deux religions" (p. 17), c'est la ligne directrice du roman. Tout a une place, d'un côté ou de l'autre de cette frontière: la jeune fille et la femme, les chrétiens et les musulmans, le père et l'amant, l'innocence et le crime. Mais il n'y a pas de bon ou de mauvais côté. Chaque pas chancellant que la jeune fille pose sur la ligne est un pas de plus dans l'incertitude. Incapable de choisir un camp, elle s'empare de tout et veut profiter du meilleur. Cri patriotique tout entier, la jeune fille incarne un pays en guerre: "Je ne suis pas une fille, je suis un soldat, avec mon âme, avec mon sang, je libérerai ma patrie." (p. 53) Mais quelle est sa patrie, on ne le sait pas.

La robe verte virevoltant dans les rues et dans l'horreur est un faux symbole d'espoir. Il n'y a pas d'espoir puisqu'il n'y a pas de dialogue, pas d'échange, puisque la ligne de démarcation est plus solide et infranchissable qu'un mur.


J'ai trouvé dans le texte des échos de Barbe Bleue, notamment dans la pièce fermée interdite, lieu de mystère et d'attraction. Aux côtés de l'amant français, la jeune fille transgresse l'interdit, brise le tabou de la sexualité et s'oppose au père. Le fantasme d'un homme autre que le père est si fort qu'elle oublie même qu'elle est une enfant et qu'elle ne se voit plus qu'en femme absolue, guerrière de l'amour, dévouée à l'homme jusqu'à l'horreur;

Il y a aussi des traces de L'amant de Marguerite Duras. La rencontre brutale et dévorante entre une jeune fille et un étranger, la passion charnelle sans avenir, les scènes érotiques et intimes sont de brûlants rappels de l'oeuvre de la romancière française.

Le texte se lit vite, mais j'ai peu apprécié l'usage du français dans le récit des souvenirs. Le temps mis à plat, réduit à une unique immédiateté, sans recul ni projection rend le récit peu digeste et opaque. Mais la figure de la jeune fille est touchante, finement traitée dans ses doutes et ses révoltes.

Un grand merci à et aux éditions Gallimard/Folio qui m'ont offert ce livre.