Le Testament du printemps, poème

Jean-Claude Masson

Gallimard

  • Conseillé par
    4 janvier 2012

    "L'enfance d'un poète", par Hector Bianciotti (Le Monde, 26 juillet 1991)

    Trop souvent le poète « moderne » aime laisser flotter des phrases tronquées, des bribes, en guise de poème, comme si – entre l’indicible et l’ineffable, aussi loin que possible du concret – elles suffisaient à provoquer cette émotion qui, grâce à un certain agencement des mots, nous donne l’impression que l’on nous raconte un passé que nous ignorions, et que l’on nous éclaire quant aux tourments ou aux bonheurs enfuis de l’âme.
    Autant le dire tout de suite, Jean-Claude Masson, dont le Testament du printemps est la première publication en volume, ne professe pas le romantisme de l’inachevé. Ce goût du petit fragment cher à une époque qui fait, comme le rappelait Caillois, un sort extraordinaire à Héraclite, en reléguant au second plan Parménide qui, lui, a laissé un long fragment d’une substantielle cohérence.


    Voici donc un poème de mille vers, un livre qui risque de faire scandale, dans le bon sens. D’abord, parce qu’il s’agit d’un poème de « formation », comme on le dit de certains romans, depuis Wilhem Meister ; ensuite, parce qu’on y trouve un poète rompu aux subtilités propres au genre, où les idées et les sons se répondent, les mots se trouvant reliés entre eux par répétitions ou équivalences de temps, sans qu’un seul puisse être déplacé une fois le vers composé. La cadence, la rime, l’allitération, et bien des effets plus subtils, comme certains froissements de syllabes, en un mot, un ton, tels sont quelques-uns des éléments permettant au poète d’apprivoiser cette chose «légère, ailée et sacrée » : la poésie selon Platon.
    Il n’est pas interdit de penser que la maîtrise que montre Jean-Claude Masson lui vient en grande partie du métier de traducteur qu’il exerce, à l’ombre des créateurs. Ce sont, en l’occurrence, des auteurs de langue espagnole et portugaise : pour le principal, José Cardoso Pires, Roberto Juarroz, García Márquez, Borges et, surtout, Octavio Paz.
    Un vrai traducteur, en particulier lorsqu’il s’agit de poèmes, mérite, en plus de la couronne du martyr, le titre de recréateur : lire un poème traduit est un acte de foi. Et tout le travail de la traduction, comme disait Valery Larbaud, qui s’y connaissait, devient alors « une pesée de mots ». Car c’est dans une délicate balance que le traducteur les dépose, déjà alliés à une musique précise, dans l’espoir de leur en substituer une autre, en préservant leur sens, en les amadouant avec adresse.
    Lorsque, délivré de ses tâches, qu’il accomplit avec ferveur, Jean-Claude Masson se retrouve lui-même, il connaît comme personne ce qu’est, en la matière, un coup d’archet, et les longues tenues sur la corde. Sans faire pour autant étalage de son savoir rhétorique ni de ses perspicacités, au contraire : on décèle dans sa manière comme un jeu d’habiletés qui voudraient passer pour des maladresses.
    Le Testament du printemps est une sorte d’autobiographie. Le décor une fois dressé, qui est celui de la Wallonie, où l’auteur a vu le jour – « La terre se résigne à une juste épure, le bleu ne clame pas plus / que le vert n’exulte, la ligne consent à la brisure » - il y a la maison de l’enfance où « le temps passait sans y penser, aussi distrait / que les nuages ». Et dans le jardin, le premier papillon - « Couleur de menthe claire, on aurait dit / deux feuilles tendres qui apprenaient à voler » -, la part du rêve.
    Aussi, vers après vers, la réalité passée au tamis d’une sensibilité hallucinée, est-on entraîné au-delà de la conscience enfantine, quand les mots et les choses ne se rencontrent pas encore, là où résonne ce chant du monde que l’existence s’emploie à faire taire. Et, au fur et à mesure que l’enfance s’éloigne du jardin et qu’elle se met en marche à la conquête de l’improbable, revêtant des costumes qui ne lui appartiennent pas, commence la magie de la lecture : « Les livres seuls rendaient justice, en nous restituant les origines. / La pressante nostalgie de l’aube, des ruines ». Et surviennent le roman, les livres d’histoire : « Un autre temps / avait existé, c’était le nôtre, on nous l’avait volé ».
    L’adolescence arrive, et avec elle l’amour, le premier baiser, les rêves de révolution, le voyage initiatique en Italie et en Grèce, « la plus belle des fêtes / et qui ne comptait pas les jours ». Et ainsi jusqu’à l’âge de vingt ans.
    De la mélancolie ? Elle est inévitable – mais nuancée d’une ironie délicate – chez celui qui ressent l’usure du temps, et qui parle, comme lorsqu’on descend en soi à une profondeur certaine, à la place des autres. Pour nommer tout ce qui se tait derrière et autour de nous, sauvegardant ainsi la part du rêve usée par le vent des jours, et que la mort effacera.